En danseuse sur son solex, Hector zigzague sur la route côtière envahie de sable et de bruyères. La Sirène l’a réveillé il y a quelques minutes. Un coup de fil bref : « Viens… Tout de suite. » Une voix blanche, mais calme. Alors il a enfilé ses santiags et son cuir, déformé par son arme de service, et a fait vrombir son clou pour la rejoindre, à deux heures du matin, sous la flotte.
Abritée par un surplomb rocheux, la caravane de la Sirène apparaît, sa lucarne animée par la lumière vacillante d’une lampe à huile. Alors qu’Hector couche son solex sous une bâche, près du tas de bois, la porte grince et une longue silhouette féminine se découpe sur le sol. Échevelée, emmitouflée comme une marmotte dans un long pull, ses yeux de biche agrandis par la peur, la Sirène le happe à l’intérieur. Hector réfrène une envie de la culbuter là, au seuil de cette caravane qu’il n’avait encore jamais franchi. Il se contente de la caresse énergique d’une serviette en nid d’abeille. Quelques secondes d’ivresse, à trois millimètres de sa peau de pain d’épice ; des doigts de fée s’agitent sur son cuir chevelu, sous la gaufre du tissus. Avant qu’il ne saisisse ses hanches, se ventouse à son corps et l’entraîne dans un tango sans morale, elle s’éloigne et le laisse, frustré mais séché, parcourir du regard la pièce unique : douze mètres carrés couverts d’un tatami en simili-cuir, démultipliés par des murs miroirs, réchauffés de tentures de velours, de coussins moirés aux senteurs orientales. Au centre, une tablette en chêne sculpté où trônent la lampe à huile, un flacon noir, deux verres et une bouteille de Lagavulin bien entamée. Un décor des mille et une nuits troublé par la présence absurde d’un corps nu et replet, gisant derrière la table basse.
–Je ne sais pas ce qu’il a, bredouille la Sirène.
-Ben il est clamsé, raide, mortibus, répond Hector, retrouvant ses réflexes de flic. Il jauge rapidement le macchabé : la cinquantaine majestueuse malgré un goitre de dindon, un teint de porcelet, le poil encore noir, comme ses yeux, cavernes sans fond où l’écho de l’extase ricoche encore. Et puis son sexe, dressé comme une mongolfière rouge cerise dans laquelle Hector rêve de piquer une épingle.
La Sirène juge opportun de commencer un récit confus : l’homme est arrivé vers 22h, comme convenu, avec cette fiole de sirop de caramel. Après quelques verres d’alcool, il l’a enduite du sirop qu’il a entrepris de lapper avec beaucoup d’enthousiasme, achevant son dessert par ce qui ressemblait à une crise cardiaque.
–Et il est arrivé à poil, ton... Il ne peut pas dire client.
Elle lui montre des vêtements et une mallette, échoués sous un plaid de fausse fourrure. Fouille minutieuse. Les poches du défunt sont vides, mais sa mallette contient un trousseau de clefs de voiture, une plaquette de Viagra dont plusieurs cosses sont évidées, une dizaine de liasses de billets de cent euro, un passeport allemand.
– Helmut Schwartz, né le 13 juillet 1954… marmonne Hector, hésitant à appeler son supérieur.
Parce que sa sirène rêveuse va avoir des problèmes, parce qu’il ne veut pas la voir se tortiller comme une anguille dans les rets d’une justice peu compréhensive, parce qu’au minimum, l’indulgence intéressée des édiles locaux pour son commerce de charme en camping sauvage va cesser.
Alors il la regarde s’effondrer doucement contre le mur miroir, contemple ces deux soeurs siamoises rivalisant de beauté désespérée et cherche une solution.